"What... Will you do ?"
CODE : "B.R.E.A.K.E.R."
L'histoire de celle dont on a noyé l'âme.
Elle était assise dans la neige, sur ses genoux. Elle ne portait qu'une simple jupe, mais la morsure du froid de semblait pas la déranger. Son visage semblait triste, malgré son pâle sourire. Elle caressait le visage d'un jeune garçon, endormit sur ses genoux. Elle ne semblait pas voir la blessure rouge sur la poitrine de l'endormit, le liquide rouge dans lequel trempaient ses cheveux, qui tâchait ses vêtements et se mêlait à ses larmes. Elle ne voyait pas l'écarlate du sol se recouvrir peu à peu de blanc sous la neige, les quelques cadavres sur les côtés qui n'étaient pas identifiables. Elle ne voyait que son visage, à lui.
Et à force de le regarder, elle avait l'impression
Qu'il respirait.
"Je n'ai pas besoin des autres. Je peux rester toute seule. Les autres sont faibles, ils ont besoin de s'entre-aider. Pas moi. Je leur suis supérieure ! Je peux me débrouiller toute seule, moi ! Je me vengerais. Je leur ferais payer, un jour. Je vais leur prouver qu'ils ont eu tort. Il vont voir que je peux vivre toute seule."
Elle était un monstre, un sorcière, un démon. Elle avait pactisé avec Satan pour être aussi maligne, et c'était pour ça qu'elle avait des yeux rouges. Rouges comme le sang, comme le feu, comme l'enfer. Il faudrait juste l'éliminer. L'anéantir, tant qu'il était encore temps... Non. Elle était trop effrayante ; elle n'était pas juste une sorcière. C'était la fille du Diable ! Regardez comme ces cheveux son blancs, immaculés, pour nous faire tomber le piège de sa fausse candeur ! Ses yeux rouges l'ont trahie, la créature ! Mais... Mais on ne pouvait pas la tuer. Satan serait en colère, s'il arrivait du mal à sa fille... Il se vengerait ! Donc, on ne la tuerait pas... Mais rien ne nous empêcherait de la faire souffrir, non ? Nous ferons ça, alors ! On va lui faire regretter d'être venu dans ce village !
Assise là, dans son carton, elle attendait que la fin de la journée arrive. Elle n'aurait plus alors qu'à rejoindre les champs, pour voler quelques provisions. Elle mangerait encore des pommes, ce soir. C'était la seule chose qu'elle pouvait voler. Elle regardait le bas de sa jupe. Elle ne voulait pas qu'on voit ses yeux, et de toute manière, il lui était plus plaisant d'admirer la crasse de ses guenilles et du sol plutôt que les regards dégoûtés des passants. Ses cheveux blancs étaient comme gris, et la saleté sur son visage rendaient ses yeux encore plus voyants. Elle enfouit son visage dans ses genoux, serrant ses jambes de ses bras. Elle ruminait sa colère contre le monde. Elle sentit un choc contre sa tête, puis des rires et le bruits de pas qui couraient. Ceci fit immédiatement couler ses larmes.
"Comment j'pourrais croire que tout changera ? Ce sont tous les mêmes."
La nuit tomba enfin, alors elle se leva et se dirigea vers les champs. Elle courut, ses pieds nus ne faisant pas de bruits. Enfin, elle arriva au verger. Un regard à gauche, un à droite. Rien, même la chaumière était éteinte. Elle entreprit de grimper dans un des pommiers. Elle remplit la petite poche qu'elle avait cousu sur sa robe de fruits, et descendit. Soudain, elle entendit un aboiement. La lumière s'alluma dans la chaumière. La jeune fille cacha sa chevelure dans sa capuche, et se mit à courir. Un homme sortit de la maisonnette, et la prit en chasse. Il avait des bouteilles à la main. Elle avait une longueur d'avance, la clôture était proche...
Une couture sauta.
"Non."
Toutes les pommes tombèrent par terre. Elle prit la peine de les ramasser, elle n'aurait rien à manger pendant des jours, si elle ne les ramassait pas. L'homme gagnait du terrain. Vite. Elle ramassa les pommes et reprit sa course. L'homme lança une première bouteille, elle l'esquiva. Elle reçut la seconde dans une épaule, des bouts de verres restèrent coincés dedans. Quelques pommes tombèrent. Elle réussit à passer la clôture. Elle enleva sa robe, ne gardant que sa cape cousue main, et plaça les pommes dedans tout en courant. Presque nue, elle rejoignit son carton. L'homme ne l'avait pas poursuivie, tant mieux. Elle devait partir maintenant. Elle remit sa robe en grinçant ; le verre dans son épaule lui faisait mal. Arrachant un morceau de sa cape, elle pansa grossièrement la plaie, et, tenant d'une main un pan de jupe plein de pommes et de l'autre son morceau de carton, elle se mit en route.
Sur les pierres qui pavaient le sol de la ville, ses pas résonnaient. Tap, tap, tap, tap. Deux par deux, dans le silence d'une ville endormie. Rapidement, d'autres pas se joignirent à sa marche. Elle se retourna, et les vit.
Trois petits enfants, dans le même état qu'elle, qui la suivaient. Ils avaient dû voir les pommes. Elle s'arrêta, et le fixa, ses petits enfants, serrés les uns contre les autres, qui voulaient quelque chose mais n'osaient pas demander. Elle s'accroupit, leur fit signe de venir, et leur donna à chacun deux belles pommes. Il ne lui en restait qu'une pour elle. Les enfants la remercièrent du regard, puis s'enfuirent en courant.
Elle reprit sa route en mangeant sa pomme. Ses pas la menèrent au hasard, dans une rue longeant un grand manoir.
"Ici, ce sera bien."
Elle posa son morceau de carton par terre, et, s'enveloppant dans sa cape comme couverture, s'endormit.
"Oh, regardez ! Elle a changé de rue, la sorcière !"
Cette phrase, ponctuée de coups et autres insultes, réveilla la jeune fille en sursaut. On lui tirait les cheveux, lui donnait des coups de pieds... Elle n'avait que ses yeux pour pleurer. Un des gamins tira sur le pansement grotesque qu'elle avait sur la bras, arrachant un cri de douleur déchirant à la jeune fille. Elle sentit des coups sur sa blessure, la faisant encore davantage hurler. Des bruits de pas dans la rue. La tête de la jeune fille tomba au sol. Elle réussi à grand mal à se relever, et vit le visage inquiet d'un garçon d'environ son âge, costume noir, cheveux coiffés et chaussures cirées, devant le sien. Elle poussa un cri de frayeur, ramassa son bout de tissu et le rappliqua sur sa plaie. Elle recula jusqu'à être coincée dans un angle de mur. L'autre s'approchait, aussi elle se mit à hurler.
"J'ai rien ! VAS-T'EN !"
Mais l'autre continuait d'avancer. Son coeur battait à toute allure. Le jeune homme tendit vers elle sa main gantée.
"Mademoiselle, je ne vous veux aucun mal. Pouvez-vous vous lever ?"
Elle regarda un instant les yeux du jeune homme, et se perdit dans la profondeur de leur azur. Elle détourna le regard en rougissant un peu, soupirant de plus en plus fort, et ne répondit pas à son interlocuteur. Son souffle devenait cours et rapide. Sa vue se brouilla, et la dernière chose qu'elle vu fut son épaule droite, enflée et suintante de pus. Et puis, tout devint noir.
"MADEMOISELLE !"
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle était dans une pièce nouvelle. Des meubles riches, vernis. Des tissus précieux, un lit confortable. Elle regarda d'un air angoissé ce nouvel environnement, puis examina son propre corps. Elle essaya de bouger ses mains, et n'en vit qu'une. L'autre était bloquée par son épaule blessée. Son souffle se coupa en voyant sa main gauche. Ses ongles avaient été coupés. Elle était... Propre. La demoiselle entreprit de se lever, et essayant tant bien que mal d'arriver au miroir. Elle ne pouvait pas croire son reflet. Ses cheveux terreux avaient retrouvé leur éclat d'argent, sa peau blanche contrastant à merveille avec l'écarlate de ses prunelles. Elle revêtait une robe rouge et blanche, et n'avait rien sur sa chevelure. Son image avait changé du tout au tout, et elle en était effrayée et captivée à la fois. Elle ne cessait de se regarder dans le miroir. On toqua à la porte, et son regard se tourna vers la poignée dorée qu'on tournait de l'extérieur. Le jeune homme qu'elle avait vu entra et tira la révérence.
"Bonjour, mademoiselle. Ravi de voir que vous êtes réveillée."
Elle lui rendit sa révérence, ne sachant pas trop quoi lui répondre, et alla s'assoir sur le lit. Le jeune homme s'avança, et se présenta.
"Mon nom est Orace. Et vous, avez-vous un nom ?"
Elle secoua négativement la tête. Orace lui demanda s'il pouvait s'assoir à ses côtés, elle acquiesça. Le jeune homme s'assit donc sur le lit, regardant le visage de la demoiselle de ses yeux chaleureux et calmes.
"Si vous n'avez pas de nom, il faudra vous en trouver un ; que diriez vous d'Alexandra ?"
La jeune fille tourna ses yeux vers Orace. Alexandra. C'était joli, elle aimait bien ce prénom. Elle sourit légèrement à Orace, ce qui le décida à désormais l'appeler ainsi. Il attendait à ce qu'Alexandra engage la conversation. Ne la voyant pas disposée à parler d'elle même, il engagea la conversation.
"Savez-vous jouer d'un instrument ?"
Cette question résonna dans les oreilles d'Alexandra comme une détonation, ce qui sembla enclencher son sens de la parole.
"N... Non, j'crois pas..."
Orace eut un petit rire. Il prit la main de la demoiselle et l'aida à se lever, puis la fit sortir de la chambre pour l'emmener dans une salle ou trônait un piano au centre. Elle fixa l'instrument de ses yeux émerveillés. Orace lui fit signe de s'assoir sur le banc pour jouer. Elle appuya d'abord sur les touches une à une, et puis, fermant les yeux, se mit à laisser ses doigts courir sur l'instrument, offrant une agréable mélodie. Elle enchainait les notes avec une telle aisance que lorsqu'elle s'arrêta, Orace la regardait avec deux yeux étonnés. Elle fixa le sol, gênée, se demandant si elle avait fait quelque chose de mal. Orace posa sa main sur son épaule.
"Alexandra, vous avez une telle aisance sur le piano... Vous enchaînez les arpèges comme personne !"
Elle rougit un peu, n'étant pas habituée aux compliments. Elle ne savait pas quoi répondre à Orace.
"M...Merci... Je...Tu... Tu peux me tutoyer ?"
Le vouvoiement la dérangeait. Orace acquiesça et s'assit près d'elle sur le banc du piano.
Orace avait décidé qu'Alexandra le rejoindrait à l'école de la ville. Malgré que ses parents soient riches, il n'allait pas dans une école réputée, mais simplement dans la petite école de la ville, avec tout les enfants des villageois. Il ne voulait pas que les autres le prennent pour un bourgeois, même si c'était ainsi qu'ils le voyaient, étant le seul à porter un costume de satin noir. De ce fait, ils ne l'aimaient pas beaucoup, et le laissaient généralement seul dans son coin. Ce qui n'était pas spécialement pour lui déplaire.
Mais avec l'arrivée d'Alexandra, tout changea. Les deux enfants s'étant liés d'amitié à une vitesse fulgurante, leur confiance mutuelle était relativement impressionnante. Alexandra ne quittait pas Orace d'une semelle. Tout les deux vêtus de vêtements magnifiques laissaient penser des choses aux autres. La sorcière et le démon.
Par ailleurs, certains avaient reconnu en Alexandra la créature sale et sauvage qui trainait dans les rues et dérobait la nuit les fruits de leurs champs. Le simple fait qu'une sorcière soit amie avec Orace leur laissait présager le pire : elle l'avait ensorcelé. Et elle devait payer pour ça !
Les années passèrent, pendant lesquelles Orace et Alexandra s'était rapprochés. L'hiver était arrivé, deuxième hiver qu'ils passaient ensembles. Orace avait demandé la main d'Alexandra. Elle lui avait répondu oui. Ils ne savaient pas encore ce que tramaient les autres dans leur dos. Alexandra excellait dans la totalité des matières scolaires, était devenue un véritable prodige musical. Ces professeurs de musique et Orace la surnommaient Arpège. Elle n'avait jamais été aussi heureuse.
Mais il y avait toujours ces élèves. Ceux-là qui la détestaient, jalousant ses capacités, pensant qu'elle lui avait été données par Satan lui-même. Ils ne pouvaient pas la tuer, mais il pouvaient la faire souffrir. Ils savaient comment.
Alexandra et Orace étaient sortis pour regarder le ciel. C'était la nuit, ils étaient à quelques mètres du village. Tout était calme, pas un bruit, sauf le vent dans les branches nues des arbres. Une silhouette, puis environ deux autres les encerclèrent. On asséna un coup de couteau à Orace. Le jeune homme s'écroula à terre. Les assassins lâchèrent leurs armes et commencèrent à s'éloigner des deux jeunes fiancés. Ils ne s'attendaient pas à ce que...
Alexandra était devenue folle. Sa tristesse et son désespoir avaient engendré la colère et son envie de vengeance. Ces personnes avaient tué celui qu'elle aimait. Ils devaient mourir. Elle les suivit en silence, et après les avoir rattrapés, leur assena tant de coups de couteaux qu'ils ne furent plus identifiables. Sa robe blanche était devenue rouge de sang. Effrayée par ce spectacle, elle enleva son épaisse robe et se retrouva avec une petite robe légère. Elle retourna vers Orace, toujours en vie. Elle posa sa tête sur ses genoux et réarrangea ses cheveux. Le jeune homme murmura le prénom qu'ils lui avait donné. Elle lui répondit.
"Non, Orace. Ne m'appelles plus Alexandra. Appelles-moi Arpège."
Le jeune homme sourit. Il posa sa main ensanglantée sur le visage de sa fiancée et prononça ses derniers mots.
"D'accord. Je t'aime... Arpège."
La main d'Orace retomba sur le sol. Il ferma les yeux pour la dernière fois. Arpège se leva, ramassa le couteau qui avait tué son bien aimé et parti, les yeux pleins de larmes.